Europa : revista de stiinta si arta în tranzitie

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Par Nicolas Trifon

Novi Sad capitale de la roumanophonie

Télécharger gratuitement le N°8

La revue semestrielle Europa : revista de stiinta si arta în tranzitie (revue de littérature, d’art et de culture en transition), dont le numéro 8, consacré aux minorités vient de paraître, présente un intérêt particulier dans ce sens qu’elle s’inscrit dans une démarche relativement nouvelle dans les Balkans : le désir de se rapprocher de l’Occident, de l’Europe, se traduit désormais par un retour à la fois critique et compréhensif sur les réalités balkaniques au-delà des clivages linguistiques, confessionnels, nationaux. Elle est éditée à Novi Sad, dans des conditions graphiques remarquables : format 23 x 22 cm., 175 p., couverture couleur, volet iconographique conséquent, avec un CD contenant des matériaux inédits ou issus des archives. La plupart des contributions sont en roumain, les résumés en serbe et en anglais.

Le nombre de traductions est considérable, du serbo-croate surtout mais aussi du français (à propos par exemple des stéréotypes sur les Roms) ou de l’anglais. En pointant les villes où résident les correspondants du comité de rédaction de la revue on peut reconstituer la carte d’une roumanophonie dont Novi Sad est pour l’occasion le centre : Vârset, Timisoara, Arad, Bucuresti, Chisinau, Balti, ou encore Rio de Janeiro, New York ou Paris. En revanche, c’est l’ancienne Yougoslavie, et la Voïvodine en particulier, qui se retrouve au centre de la carte que l’on peut reconstituer en prenant en considération les références géographiques des matériaux publiés, traduits en général du serbo-croate. Chacun des huit numéros parus est consacré à un thème (les minorités, dans le dernier paru, la religion et la foi dans le précédent…) décliné dans les rubriques habituelles de la revue.

Dans le numéro 4 consacré aux migrations on peut lire des contributions sur les traces onomastiques laissées en Macédoine par les musulmans de Bosnie contraints au départ par l’avancée des troupes monténégrines pendant les années 1875-1878 (Redžep Škrijelj), les allers et retours avec Sofia et le nord de la Bulgarie des habitants d’une localité située à la frontière avec la Serbie ayant appartenu successivement aux deux pays, Dimitrovrad (Cvetko Ivanov), la culture des Aroumains établis dans le sud de la Serbie (Ivana Janjić), la figure de l’étranger dans la littérature italienne contemporaine (Cristian Echer) ou encore sur le départ pour l’Occident des Roumains qui allaient s’y faire un nom comme roumains justement. « Brancusi, Eliade, Cioran, Ionesco… n’ont pas voulu s’assimiler à l’immaturité idéologique de la Roumanie de leur jeunesse qui était pour eux un monde irréel, une illusion radicale », écrit Radmilo Petrović, professeur de philosophie à Belgrade. Enfin, parmi les matériaux figurant sur le CD il y a un entretien avec Eliade transmis dans l’émission en roumain de la Radio Novi Sad en 1985.

Pour saisir à sa juste valeur cette prouesse éditoriale il faut rappeler qu’elle émane d’une « petite » minorité, les Roumains du Banat, en Voïvodine, à peine 30.000 lors du dernier recensement, une population traditionnellement rurale, dont le maintien, malgré une émigration économique à outrance, est dû à la politique favorable à un grand nombre de minorités à l’époque de Tito. Ce qu’il faut souligner, c’est que l’ouverture à l’autre, le désir de faire connaître son histoire et sa vision du monde sans juger, demande des efforts considérables sur un point précis, incontournable : la traduction. À un moment ou un autre, le recours à une lingua franca (hier le grec et le turc puis le français, aujourd’hui l’anglais) se heurte à des obstacles infranchissables et la diversité des langues étant ce qu’elle est dans le Sud-Est européen, la traduction peut se révéler indispensable pour assurer l’intercompréhension et l’acceptation réciproque des habitants de cette région.

En guise de conclusion, signalons l’existence depuis déjà plusieurs années en France d’entreprises du même ordre dans les domaines des médias d’information et de l’édition papier : le Courrier des Balkans, d’abord, et, plus récemment Au sud de l’Est [1]. Comme quoi la francophonie, quand ceux qui s’y investissent font preuve d’imagination et de persévérance, peut non seulement être compatible avec la pluralité des langues et des cultures des autres mais aussi la favoriser.

Contact : Europa, éditions Fondul Europa, Gagarinova 16, 21000 Novi Sad, Serbie. La revue est également disponible en version numérique.